• L'enfant précoce : signes particuliers

    L'enfant précoce : signes particuliers

    L’ENFANT PRECOCE : SIGNES PARTICULIERS

    O. Revol, service de neuropsychiatrie de l’enfant, hôpital neurologique de Lyon.

    J. Louis, INSERM, unité 380, Lyon.

    P. Fourneret, service de neuropsychiatrie de l’enfant, hôpital neurologique de Lyon -Instituts des sciences cognitives, Lyon.

     

    Extrait de la revue « Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence » édition Elsevier.

     

     


    Le repérage de la précocité est utile à tout instant du développement. Très tôt, il permet d'anticiper la survenue de troubles du comportement en proposant aux parents de certains nourrissons difficiles des stratégies éducatives simples et efficaces. Plus tard, la révélation de la précocité apporte une explication rationnelle aux troubles d'adaptation rencontrés par les enfants intellectuellement précoces (BIP) en maternelle. Enfin, des les classes primaires, l'identification des profils spécifiques des E1P permet aux enseignants et aux familles de s'adapter à leurs particularités affectives et cognitives,
    Ce regard expert revêt de plus une fonction thérapeutique, car l'identification de la précocité est rapidement apaisante pour l'enfant et son environnement. («enfin, on a le mode d'emploi...», « il a retrouvé le sourire depuis qu'il a été testé...). Il exige de l'éducateur une bonne connaissance des caractéristiques physiologiques et pathologiques qui distinguent un enfant précoce d'un enfant standard. Le diagnostic de précocité repose moins sur la présence de l'un ou l'autre de ces signes, d'allure bien banale lorsqu'ils sont présents isolément, que sur leur co-existence et leur chronologie d'apparition, qu'une anamnèse bien conduite permet de reconstituer aisément.


    On peut classer ces signes distinctifs en quatre catégories : les particularités du développement, les troubles du comportement, les troubles île la régulation émotionnelle et les spécificités du traitement de l'information.


    1 Les particularités du développement


    Elles vont être rapidement évidentes dans le milieu familial devant la précocité de certaines acquisitions. On décrit des nourrissons surinvestissant dès trois mois le contact avec leur mère, sollicitant sans cesse l'entourage pour être remarqués, recherchant la position debout à six mois en poussant sur leurs membres inférieurs et vocalisant pour être entendus. Leur compétence en matière d'empathie sont déjà remarquable ; elles vont être illustrées, et facilitées, par une acquisition rapide du langage oral. Certains parents noient la précocité des premiers mots (12 mois), puis des premières phrases (18 mois au lieu de 24 mois, repère classique du premier accolement de 2 mots). D'autres signalent de façon patho-gnomonique une absence d'acquisition des premiers mots jusqu'à deux ans, puis l'apparition brutale de phrases parfaites sur le plan syntaxique (« comme s'il attendait de savoir parler correctement avant de nous le montrer... »).
    Cette aisance langagière va logiquement s'accompagner d'un intérêt prématuré pour l'environnement, avec un questionnement incessant (« pourquoi ... ? est-ce que... ? ») et toujours pertinent. Ce harcèlement plonge l'adulte dans l'embarras car il concerne des sujets complexes et existentiels {origine de la planète, construction de l'univers, existence de Dieu, notion de vie après la vie...).
    L'association de l'avance verbale et de l'empathie crée une situation idéale pour développer une forme d'humour qui achève de fasciner l'entourage. Dès trois ans, l'ElP cherche à faire rire par des mimiques ou des jeux de mots qui parviennent spontanément à son esprit. Ce phénomène est volontiers entretenu par un entourage fasciné et stimulant.
    L'accès à la lecture est généralement accéléré ; dans son désir de tout maîtriser, l'enfant recherche très vite à comprendre les règles de la correspondance phonème-graphème. Il apprend le plus souvent seul, à l'aide de jeux éducatifs (ordinateurs), télévisés (« Des chiffres et des lettres », « Pyramide »...) et en décryptant les publicités ou les gros titres des journaux. Son appétence épistémologique sera en revanche, nettement moins vive en matière de graphisme pour lequel il est souvent moins compétent ; il est probable qu'il soit rebuté par la lenteur de ses réalisations picturales, dont sa vivacité s'accommode mal. De fait, il va rapidement négliger toutes les tâches écrites, ce qui achevé de dérouter les enseignants. Sur le plan social, il est spontanément attiré par des camarades plus âgés, voire des adultes. Dans le même sens, il préfère les jeux compliqués, et délaisse ceux de son âge. Il est aidé dans cette entreprise par des compétences mnésiques étonnantes, qu'il s'agisse de la mémoire de travail (qui implique l'attention), ou de la mémoire à long terme.
    Enfin, un dernier trait est largement décrit par les familles, à la limite entre physiologie et pathologie ; il s'agit d'une extrême sensibilité qui donne une fausse impression d'immaturité affective. Cette hypersensibilité n'est que la conséquence du fonctionnement intuitif d'un enfant qui perçoit rapidement les étals d'âme de son entourage. Ses réactions sont généralement caricaturales car la précocité est responsable d'un effet loupe, qui amplifie toutes les émotions et les sensations.
    Ainsi, les EIP apparaissent très tôt comme des enfants vifs, hypersensibles, opposants et...dérangeants ; ils ont pourtant besoin de règles éducatives strictes et bienveillantes, seules susceptibles de les rassurer.
    Les principaux signes d'appels de la précocité doivent être rapidement reconnus pour permettre une adaptation de l'entourage.

     

    2 Troubles du comportement


    Si ces particularités ne représentent en fait qu'une avance dans certains domaines, elles s'accompagnent souvent de troubles du comportement, qui peuvent être les premiers symptômes visibles de la précocité. Secondaires à la « dysynchronie », qui affecte l'enfant dans ses relations aux autres mais aussi dans son fonctionnement interne, ils méritent d'être rapidement identifiés comme l'expression d'une avance intellectuelle, ce qui évite de les relier à un trouble de la personnalité ou encore d'incriminer des fautes éducatives.


    2.1. Les troubles du sommeil
    Ils sont quasi-constants; leur signification diffère selon l'âge. Chez le nourrisson, l'insomnie d'endormissement est liée à l'anxiété de séparation, logiquement amplifiée par la précocité. Après deux ans, l'opposition au coucher illustre les difficultés à renoncer au plaisir de jouer ou d'apprendre ; l'anxiété vespérale est aggravée en période oedipienne par la crainte de la résurgence des fantasmes au cours du rêve. Sur le plan qualitatif, tous les types de troubles ont été signalés comme le confirme une élude récente ; on retrouve des insomnies (difficultés au coucher, éveils nocturnes), des parasomnies (cauchemars) et surtout l'impression parentale, subjective, d'un sommeil de mauvaise qualité.
    La fréquence des troubles du sommeil chez les EIP incite à rechercher d'autres signes évocateurs de précocité chez tout enfant consultant pour un refus d'endormissement.


    2.2. L'opposition
    Elle est certainement le symptôme le plus fréquent (« son premier mot a été « non », avant « papa, maman »...). Elle s'exprime de façon comportementale avant l'apparition du langage, avec des crises de colère paroxystiques en cas de frustration (hurlements, coups de tête sur le
    sol...). Plus tard, l'aisance verbale risque d'entraîner l'enfant dans une argumentation aussi structurée qu'insupportable. Le rattachement de ces excès au diagnostic de précocité va être rapidement apaisant en dédouanant les parents de toutes fautes éducatives. Quelques conseils simples (fermeté bienveillante, proposition rapide de nouveaux centres d'intérêt...) achèveront de ramener le calme ; à l'inverse, l'absence d'identification du problème risque de maintenir un climat délétère et de créer une situation délicate pour l'avenir. Ces comportements sont surtout rencontrés chez le garçon. La rareté des manifestations d'opposition chez les fillettes, volontiers hyperconformes, est sans doute à l'origine de la sous-évaluation de la précocité féminine et du retard à la diagnostiquer.


    2.3. L'instabilité psychomotrice
    1C'est une plainte de plus en plus rencontrée en consultations ; l'hypermédiatisation de ce symptôme conduit à des demandes injustifiées de soins psychothérapiques, voire de traitement médicamenteux. Un entretien clinique simple, avec reconstitution de l'histoire de l'enfant, précisant la chronologie d'apparition de l'hyperactivité est souvent suffisant pour évoquer la précocité. On la discutera devant un enfant calme à la maison et signalé comme instable à l'entrée en maternelle, avec une aggravation au cours préparatoire, surtout s'il existe parallèlement des troubles spécifiques d'apprentissage, La variabilité du comportement en fonction des moments et des enseignants confirme rapidement l'hypothèse d'un enfant qui bouge car il s'ennuie avec ses pairs. On sait par ailleurs que l'insuffisance de stimulations laisse l'enfant bien désemparé face à la résurgence de préoccupations anxieuses qui aggravent son instabilité.
    L'aspect sélectif de l'hyperactivité est facilement objectivé par les échelles de Conners, dont les scores parentaux subnormaux contrastent avec ceux de l'école, franchement pathologiques. Des conseils d'approfondissement, d'enrichissement, voire d'accélération scolaire sont suffisants pour limiter les débordements.

     

    3 Les troubles de la régulation émotionnelle


    Ils sont retrouvés chez la plupart des enfants précoces, et peuvent être les premiers révélateurs d'une avance intellectuelle jusque là méconnue. On distingue l'anxiété et les troubles de l'humeur.


    3.1. L'anxiété
    Elle est constante chez les enfants surdoués. L'intelligence est logiquement anxiogène lorsqu'elle donne accès à des questionnements existentiels que le jeune enfant ne peut assumer. On est alerté dès trois ans par des préoccupations excessives concernant l'univers ou la vie après la vie ; la notion prématurée de la pérennité de la mort est forcément inquiétante à l'âge ou l'enfant en a normalement une notion très abstraite ou ludique, comme dans les dessins animés ou les jeux vidéo (« je sais bien que je n'ai pas plusieurs vies... »). Plus tard, les peurs concernent les maladies (peur du sida, de la maladie de la Vache-Folle...), la survenue de catastrophes au niveau planétaire (guerre, météorites, inondations...) ou familiales (maladies des parents, séparations....). Ces craintes sont parfois abordées spontanément, mais le plus souvent elles restent secrètement gardées par un enfant qui n'osent en parler à ses camarades de peur d'être ridicule, ni à ses parents pour ne pas les inquiéter. Elles risquent alors d'évoluer en véritables obsessions, inquiétantes, responsables de rituels nécessaires à leur apaisement.
    Cette organisation en troubles obsessionnels et compulsifs (TOC) est tellement fréquente dans notre expérience qu'elle justifie d'interroger tous les enfants intelligents sur l'existence d'éventuels « soucis » ou de gestes absurdes qu'ils ne peuvent éviter. La (première) révélation
    de ce qu'ils considèrent souvent à tort comme une maladie mentale est extrêmement thérapeutique.


    3.2. Les troubles de l'humeur
    Ils sont fréquents chez les EIP, mais particulièrement mal repérés. Les adultes hésitent en effet à évoquer la dépression chez l'enfant, et préfèrent longtemps feindre de croire que l'enfance est toujours une période joyeuse ; l'enfant surdoué est pourtant surexposé au risque dépressif du fait de sa grande perméabilité aux émotions de l'entourage, avant d'avoir pu construire les moyens de défense adaptés. Il est donc fondamental de bien connaître les signes de dépression infantile, d'expression variable en fonction de l'âge, et de penser le cas échéant à les relier à l'avance intellectuelle. Cette identification permet alors de décontaminer la relation entre l'enfant et ses parents ; une des particularités de la dépression infantile est de s'auto-entretenir, quand l'irritabilité et l'agitation favorisent le rejet. Elle permet également de mettre en place des stratégies psychologiques adaptées (consultations de soutien au cours desquelles sont abordées les causes de la tristesse), voire un traitement médicamenteux transitoire.


    4 Les spécificités du traitement de l'information


    Le quatrième domaine qui permet de distinguer l'enfant précoce concerne ses spécificités de
    Traitement de l'information. Les enseignants connaissent bien ces profils cognitifs rapidement défavorables sur le plan scolaire, malgré des compétences satisfaisantes. On sait en effet que l'enfant précoce privilégie une vision globale, simultanée, des problèmes, au détriment d'une démarche séquentielle, analytique, plus longue et coûteuse en énergie. De fait, un des premiers signes qui alêne l'institutrice est le contraste entre la fulgurance de certaines réponses et l'impossibilité d'en expliquer le cheminement. On pense que l'enfant précoce traite l'information de façon analogique et intuitive, faisant à son insu des tiens entre le problème posé et des situations semblables déjà vécues ; la solution s'impose alors à lui, sans qu'il puisse en expliquer l'origine. Les conséquences sur les carnets de note peuvent être le premier clignotant d'une précocité jusque là méconnue. Les enseignants font état du « manque de méthode », de la « difficulté face à l'effort », et décrivent « l'effet Everest », défini comme une préférence pour ce qui est compliqué, et un manque d'attention dans les matières moins intéressantes. Une fois encore, la compréhension rapide de l'origine de ce fonctionnement permet d'éviter l'enlisement et surtout la phobie de l'école.
    Des conseils méthodologiques, voire une prise en charge à visée pédagogique sont alors rapidement efficaces sur les résultats scolaires. En somme, un certain nombre de traits distinguent l'enfant précoce des enfants de son âge. Leur mise en évidence rapide permet d'anticiper la survenue de conséquences potentiellement délétères. La confirmation du «surdon » par un test de quotient intellectuel (QI) n'est pas nécessaire si l'enfant va bien : elle devient indispensable en cas d'échec scolaire injustifié ou de détresse affective, et doit alors s'accompagner de modifications des contre-attitudes parentales ou d'adaptations éducatives et ou pédagogiques.


    C'est donc avant tout la méconnaissance de la précocité qui représente un risque pour l'enfant. À l'inverse, son identification et surtout sa reconnaissance sont rapidement bénéfiques et permettent à l'EIP d'exploiter au mieux ses compétences. D'ailleurs, dans la plupart des cas, la précocité est plus un atout qu'un handicap, et il ne faut certainement pas en faire une maladie!


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